Historique des Eglises Evangéliques du Grand Havre - Hélène BIOLLEY

Monsieur Rollhaus, homme âgé fort estimé au Havre, demandait instamment à Dieu de lui désigner une compagne pour sa fille, âgée de 17 ans, qui avait perdu sa mère de fort bonne heure. Le Seigneur le conduisit vers elle à Couvet. Dès l'instant où ils se présentèrent sous la galerie ensoleillée de notre maison chacun de nous sut qu'il était exaucé.

Ce fut le 10 Septembre 1880 que j'arrivai avec eux au Havre et que je passai seize années d'un bonheur sans mélange. J'étais comme la fille aînée de cet homme de Dieu et la sœur chérie de son enfant.

Vers 1885 nous découvrîmes des réunions méthodistes qui se tenaient dans les bas-fonds. Mademoiselle Rollhaus et moi prîmes des groupes dans l'école du Jeudi du pasteur Gray, et nous y mettions tout notre cœur.

En 1887 Monsieur Gray nous fit faire la connaissance d'un colporteur breton, Monsieur Le Quéré, venu au Havre pour quelques semaines pour visiter ses compatriotes. Nous l'invitâmes à dîner. Il se présenta avec son chapeau rond et ses sabots et nous intéressa vivement par le récit de sa conversion et des persécutions qu'il subissait comme colporteur de la Parole de Dieu dans la campagne bretonne.

Après le dîner nous lui demandâmes pourquoi il retournait en Bretagne, puisque les Bretons reçoivent l'Evangile avec plus de facilité hors de chez eux et de la persécution. -"C'est une affaire d'argent", répondit-il. -"Si Dieu vous envoyait l'argent, resteriez-vous ?" -"Oui". -Alors nous nous agenouillâmes, demandant au Seigneur l'argent nécessaire pour son serviteur. Le soir même Monsieur Rollhaus nous donnait 500 Francs pour lui. Ainsi commença la Mission Bretonne du Havre qui m'a prise tout entière jusqu'à ce jour.

Monsieur Le Quéré se fixa en ville où Lady Beauchamp lui offrit une salle dans sa maison des Marins et où Miss Bonnycastle, une chère enfant de Dieu lui aidait à tenir les premières réunions. Ce fut la consécration de cette précieuse chrétienne qui m'incita à donner ma bouche au Seigneur ; je l'ouvris en son Nom et Il n'a pas cessé de la remplir depuis lors.

Peu de temps après, Monsieur Gray me présenta à une amie de sa femme, Miss Jones qui, disait-il avait des idées extraordinaires. Elle croyait à la sanctification et à la guérison divine. Je me dis que Si Dieu est tout-puissant et puisqu'Il a promis ces choses dans sa Parole, je ne pouvais faire mieux, que de me confier en Lui pour cela.

Miss Jones m'invita à Londres chez des amis qui vivaient par la foi ; sous l'influence de leur exemple et la force du Saint-Esprit je résolus de chercher premièrement le Royaume de Dieu et sa justice et Lui abandonner tout le reste en regardant toujours les hirondelles. Dieu n'a-t-il pas dit "Regardez les oiseaux de l'air, ils ne sèment ni ne moissonnent et n'amassent rien dans des greniers et cependant votre Père céleste les nourrit. N'êtes-vous pas plus excellents qu'eux ?" (Matthieu 6:26)

J'étais seule un jour à Londres en méditation lorsque les versets suivants semblèrent sortir de la Bible et m'apparaître dans toute leur vérité : "Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts, et c'est ici le Pain qui est descendu du ciel afin qu'on en mange et qu'on ne meurt point" (Jean 6: 49 et 50)... "En vérité, en vérité, je vous dis que celui qui garde ma Parole ne mourra jamais !" (Jean 8:51)... "Je suis la Résurrection et la Vie, celui qui croit en moi vivra quand même il serait mort et celui qui vit et croit en moi ne mourra jamais... Crois-tu cela ?" (Jean 11:25 et 26) -Oui Seigneur aide-moi à croire et à obéir jusqu'au bout ! Depuis lors il est entré dans ma vie un ressort qui ne s'est jamais détendu.

Revenue au Havre, je dis à mes chers amis que je ne pouvais plus être salariée, que je voulais vivre par la foi. Ils eurent la grandeur d'âme de me donner toute liberté et je commençais à faire des expériences merveilleuses des exaucements de Dieu. Oui ! Il pourvoit en réalité comme Il pourvoit pour les oiseaux du ciel.

La Mission s'épanouissait depuis deux ans. Jusqu'alors j'avais fait des collectes pour couvrir les frais de la salle de bal que nous louions dans un quartier excentrique où demeuraient un nombre considérable de Bretons.

Je dis au Seigneur : "Si tu veux que je marche par la foi pour les besoins de la Mission, envoie-moi une bonne somme sans que je la demande à personne". Trois jours après arrivaient 300 Francs dont je fus longtemps à ignorer la provenance. La chose fut conclue avec le Seigneur et pendant plus de quarante ans Il a toujours pourvu directement à tout comme pour les oiseaux de l'air, béni soit son Nom, en Voici quelques exemples :

Hélèen Biolley Je revenais d'Angleterre un jour de l'An n'ayant plus même dix Centimes pour prendre le tramway. Désirant aller souhaiter la bonne année à Miss Bonnycastle, alors au Havre, je sortis demandant à Dieu de ne pas rencontrer Madame Gerken, propriétaire du lieu de réunion qui avait succédé à la salle de bal et dont le loyer était de 112,50 Francs par terme. Entrant chez Miss Bonnycastle qui vois-je ?... Madame Gerken Comment Dieu, le Dieu des petits oiseaux allait-Il faire ? -Ces dames parlaient de certains déficits d'œuvres religieuses et, se tournant vers moi "Qu'en dites-vous ?" -"Je dis que ceux qui se confient en Dieu ne doivent pas avoir de dettes I" -"A ce propos dit Miss Bonnycastle, j'ai mis 100 Francs de côté pour vous, les voici !" -Je les tendis à Madame Gerken qui ajouta : "Et moi, j'ai été tellement bénie dans ces fêtes que je vous abandonne les 12,50 Francs." J'étais sortie sans argent, je rentrais, ayant payé le loyer, heureuse comme les petits oiseaux des cieux !

Une autre fois je reçus au dernier moment et sans en avoir parlé à personne 20 Francs d'un côté, 75 de l'autre et 50 d'un troisième, lesquels ajoutés à 17 Francs que je possédais forment exactement 112,50 Francs.

Un jour Monsieur Le Quéré arrive le premier du mois chercher 125 Francs. Je n'en possédais que 25. Une dame sonne, remet 100 Francs et disparaît.

Une autre fois, invitée à dîner chez Monsieur Le Quéré je n'avais aussi que 25 Francs à lui remettre. Il était midi, je mettais mon chapeau, on frappe, le facteur me remet une petite boîte carrée. Que contient-elle ? Une pièce d'or de 100 Francs

"Sans banque et sans argent les oiselets des cieux sont nourris par sa main et chantent tout heureux et moi, son racheté, plus qu'eux je suis joyeux plus qu'eux je lui suis précieux !"

Outre la salle de 112 Francs par terme, nous dûmes en louer une autre dans la rue Dauphine pour succéder à celle que Lady Beauchamp nous avait généreusement prêtée jusqu'alors. Le loyer de cette nouvelle salle était de 106 Francs par terme : c'était une autre responsabilité à remettre à Celui qui m'avait dit : "Je pourvoirai à tous tes besoins selon les richesses de ma grâce" (Philippiens 4:19).

Une fois, cependant, une grande tentation se présenta. Le terme de Juin était passé depuis 25 jours et... point d'argent ! Que faire ? Ne voulant point avoir de dettes, je m'en fus trouver la propriétaire pour lui remettre la salle malgré les protestations de Monsieur Le Quéré : "Une salle qui marchait Si bien, toujours bondée d'auditeurs ! Donnez-moi une heure et je vous rapporte 106 Francs !" -"Cher ami, comment pourrions-nous nous tenir sur l'estrade et prêcher que Dieu exauce Si nous recourions aux hommes ?" La salle fut remise, mais le lendemain j'allais la reprendre avec 100 Francs venus d'un côté et de l'autre. -"Attends-toi à l'Eternel et demeure ferme, attends-toi " dis-je "à l'Eternel-"

La guérison par la foi marche de pair avec le salut, car il est dit : "C'est Lui qui pardonne toutes tes iniquités et qui guérit toutes tes infirmités" (Psaume 103:3) et très nombreuses furent et sont toujours les accomplissements de ses promesses.

Descendant un matin pour l'Ecole du Dimanche, je rencontrai mon petit élève Ernest Hamon fort triste à cause de l'état grave de sa petite-nièce Suzanne atteinte de méningite. J'allai prier pour elle, elle fut instantanément guérie et lorsque j'allai prendre de ses nouvelles le surlendemain, il n'y avait personne chez eux, tout le monde était à une noce

Il en fut de même pour un petit pied condamné à être coupé, pour des naissances miraculeuses, des pneumonies purulentes, cancers et beaucoup d'autres cas merveilleusement traités par le Grand Médecin. Oui ! Il a pris nos langueurs et s'est chargé de nos maladies

Le départ de mon protecteur spirituel et de sa fille, lors de son mariage aurait été un vide trop grand à combler si Dieu ne m'eût confié, en 1896, la fondation de sa maison du Ruban Bleu.

Touchée par le nombre des ouvriers qui étaient rétribués en jetons et forcés de les changer dans les cabarets je leur demandai s'ils désiraient l'ouverture d'un restaurant de tempérance et s'ils y viendraient ? . Sur leur affirmative je me mis à chercher un local. Une amie, Madame Masson m'offrit les trois premières années de loyer.

Depuis longtemps, revenant des réunions de la rue Dauphine, je traversais la place de l'Arsenal et voyais un ancien café fermé et sur lequel était encore l'enseigne : Eden Concert. "Ah Si j'avais assez de foi je demanderais à Dieu cette maison !"

Forte des propositions de Madame Masson je louais l'Eden Concert qui, sans appel d'argent a été converti en Maison du Seigneur sous le nom de Ruban Bleu. Là aussi les exaucements se sont succédés en grand nombre.

Nos auditeurs de la rue Dauphine me donnèrent qui les premières cuillères, qui le premier litre de lait, la première livre de sucre, des chaises défoncées que l'un d’eux rempailla et une grande amie me tendit une enveloppe dans laquelle étaient deux billets de 1000 Francs ! Cela permit d'acheter fourneau, batterie de cuisine, vaisselle et quelques tables de marbre. On distribua des prospectus : potage 10 Centimes, viande 30 Centimes, légumes, desserts variés, thé, café, chocolat 10 Centimes et, après l'inauguration à Pâques 1896 se fit l'ouverture. Mais... viendrait-il des clients ? Dès le premier jour il entra un jeune Suisse qui nous amena le lendemain trois clients mécontents de leur restaurant. Pendant des mois, les gérants, une mère et son fils faisaient environ 5 Francs de recette par jour, argent qui servait aux dépenses du lendemain, tout le reste arrivait en réponse à la foi.

L'automne arrive, puis les premiers froids, le vent d'Est s'engouffre dans le restaurant. Un jour que je descendais y faire une visite : "Ah ! Mademoiselle, me dit la gérante, nos quelques clients ont dit qu'ils s'en iront ni nous ne mettions pas un calorifère*." -"Je n'ai pas d'argent, mais nous ferons comme toujours, nous le dirons à Dieu". Ce Nom béni était encore sur ma bouche qu'une dame entre : "Mademoiselle, j'apprends que vous ouvrez un restaurant de tempérance et je viens voir ce que je puis faire pour vous aider" -"Ah ! Madame il nous faudrait un calorifère !" -"Je vous le donne !" Et le beau calorifère arriva... Mais il fallait dix mètres de tuyaux ! ... Il arriva, oui ! Et en même temps les dix mètres de tuyaux nécessaires.

"Regardez les oiseaux de l'air, ils ne sèment ni ne moissonnent mais votre Père céleste les nourrit". Vers la fin de la première année Dieu m'envoya des gérants entendus en Monsieur Senn et sa femme et sous leurs bons soins le petit Ruban Bleu fleurit et pouvait après trois ans payer son propre loyer. Au bout de quelques années Monsieur Senn fonda un autre hôtel et je dus venir moi-même habiter le Ruban Bleu pour lui conserver son caractère de Maison du Seigneur.

Mon cher et vénéré compagnon de bataille, Monsieur Le Quéré me quitta pour finir ses jours en Bretagne, auprès de ses enfants, mais Dieu ne me laissa pas seule, Il m'envoya un de ses enfants Monsieur Félix Gallice, un aide précieux dans la Maison du Seigneur et dans la Mission, ainsi que le cher et vénéré Monsieur Chaumet. Au fond de la salle de la rue Dauphine étaient ces mots : "Eglise Universelle de Jésus-Christ". Cela effaçait tout sectarisme et permettait au Saint-Esprit de nous diriger en pleine liberté, c'est ainsi que nous fûmes puissamment aidés et réjouis par de fréquentes visites d'hommes et de femmes remplis du Saint-Esprit. Madame Polman d'Amsterdam surnommée l'oiseau du Paradis par Monsieur Le Quéré, Monsieur Wigglesworth, Madame Wight, Monsieur et Madame Karlsson de Suède et beaucoup d'autres, puis un jeune homme qui vint au Ruban Bleu pour perfectionner sa connaissance du français, Monsieur Douglas Scott. Il était plein de foi et d'entrain. A ce moment la salle Dauphine fut déménagée au 45 du quai Vidcoq, dédiée à la grâce de Dieu. Une somme énorme fut réclamée pour ce changement et le jour venu, la grande amie des temps héroïques de la Mission fut choisie par notre Père pour nous donner une liasse de billets de banque. Regardez les oiseaux du ciel

De grandes bénédictions accompagnèrent ce changement et pourtant ce n'était pas encore le réveil demandé. Il fallait persévérer, persévérer dans la prière et nous persévérâmes à quelques-uns. Le terrain était labouré, la dynamite divine préparée, il ne manquait qu'une allumette et le Seigneur de nouveau pourvut.

En Février 1930 Monsieur Douglas Scott qui venait de se marier et qui avait fait de riches expériences m'écrivit pour m'offrir une visite. "Venez" répondis-je avec joie. Dès la première réunion, la puissance du Saint-Esprit se fit sentir, des guérisons s'opérèrent et l'auditoire alla en augmentant, tellement qu'il fallut songer à chercher une plus grande salle. Un jeune ami qui avait voulu créer une société de Gens Heureux pour laquelle, disait-il, il fallait une grande salle avec une spacieuse entrée en avait découvert une rue André Caplet et m'y avait conduite. C'est dans cette salle que se déversa le trop plein du quai Vidcoq et là qu'après le départ de Monsieur Douglas Scott le Seigneur a employé son serviteur Monsieur Félix Gallice en opérant des transformations complètes de caractères et des guérisons et a formé une véritable Société de Gens Heureux qui a nécessité dans sa croissance rapide le transfert dans une quatrième salle beaucoup plus grande, à la rue Franklin.

SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU (Jean 11:40)

Depuis lors le feu s'est étendu dans beaucoup de villes en Normandie, en France et en Belgique.

"Lecteur, prie pour le monde !"

Hélène BIOLLEY - Octobre 1936